Le prince Joachim Murat et le souverainisme.

« Le Bonapartisme peut et doit être une force de rassemblement des souverainismes de tous horizons. C’est même, me semble-t-il, une de ses vocations. »

Lors des assises du bonapartisme, qui se sont tenues le 1er février 2020 au palais du Luxembourg, le prince Joachim Murat a évoqué à plusieurs reprises les notions de souveraineté, de souverainisme. Plusieurs personnes, présentes dans la salle ou bien après avoir visionné les vidéos de l’évènement, ont souhaité en savoir plus sur la pensée du Prince sur cette notion de souverainisme. Nous l’avons donc interrogé sur le sujet, voici cet entretien.

Monseigneur, qu’est-ce que le souverainisme pour vous ? A brûle-pourpoint je vous répondrai que le souverainisme c’est être maître de son destin. C’est l’expression du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la condition de l’exercice de leur liberté, le refus d’abdiquer l’idéal de grandeur.

C’est particulièrement vrai pour les Français, peuple éminemment politique qui ne supporte pas de voir son Histoire écrite par d’autres.

Mais afin d’éviter toute confusion, je pense qu’il faut commencer par repositionner les notions de souverainisme et de souveraineté. Je vous propose une définition très simple : 

Le souverainisme est une politique visant la préservation de la souveraineté d’un pays par rapport à des instances supranationales. C’est une politique réaliste et volontaire visant une position privilégiée au sein du concert des Nations dans le respect strict de la souveraineté nationale et de la protection de l’intérêt général des citoyens.

La souveraineté, quant à elle, est définie par l’article 3 de notre Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. ».

La notion qui prime pour moi est donc celle de souveraineté comme horizon d’une politique souverainiste. Lorsque j’emploie le terme de souverainisme c’est au sens d’une politique qui respecte absolument la souveraineté populaire exprimée au travers des décisions prises par le peuple français et ses représentants légitimes dans le cadre d’élections et de référendum obéissant au principe démocratique de la majorité. Une politique souverainiste, de mon point de vue, n’est motivée que par l’intérêt du peuple Français et ne peut décider de transfert de compétences à un niveau supranational qu’avec son accord exprès par voie de référendum.

Le souverainisme ainsi compris n’est pas un repli sur soi. Une Nation peut rester souveraine et appliquer une politique souverainiste en choisissant de créer démocratiquement des liens d’interdépendance avec d’autres pays.

Sur la scène internationale l’objectif est naturellement la défense de l’intérêt des Français et la préservation d’une position avantageuse dans un contexte de globalisation économique sauvage et de rapports entre États le plus souvent gouvernés par la loi du plus fort.

Un volet de la politique souverainiste me paraît essentiel : le volet domestique. Pour être maître de son destin sur la scène mondiale il faut avant tout être maître chez soi.

Cela exige le respect des lois et des mœurs de la société française. Ces lois et ces mœurs évoluent bien sûr. Nos institutions comme les modalités d’expression de la volonté populaire permettent très bien d’accompagner ces évolutions. Ne manque que le respect strict du droit et l’application ferme de la Justice. Sans le respect des instituteurs, des professeurs, des Forces de l’ordre, des Armées, des personnels médicaux et de première urgence, sans restauration de l’autorité de l’État il ne peut y avoir de vraie souveraineté nationale et par conséquent de souverainisme. Tout compromis sur ces points me semble une démission inacceptable et une trahison de la volonté populaire et donc de la souveraineté nationale.

Comment concilier souverainisme et mondialisation ? Il faut ici, je pense, à nouveau distinguer ces deux niveaux : le niveau international où le souverainisme défend l’autonomie politique et les intérêts d’un corps social constitué en Nation dans ses rapports internationaux, et le niveau national où il s’agit d’établir une autonomie stratégique par la planification économique et industrielle.

Sur la scène internationale la souveraineté de la Nation est ce qui permet de se coordonner et de se positionner vis-à-vis des autres Nations par le jeu de traités et d’alliances. En cela le souverainisme (au sens que je lui ai donné en réponse à votre première question) est la condition préalable pour qu’un état puisse interagir dans un monde globalisé en remplissant son rôle premier : la protection de ses citoyens et la défense de leurs intérêts dans un contexte mondial sans pitié.

Sur le plan intérieur, l’autonomie stratégique est une approche « colbertiste » de l’économie. C’est la déclinaison de la souveraineté nationale et de souverainisme en matière de politique économique, industrielle et fiscale afin de garantir à l’État et aux citoyens suffisamment d’indépendance pour affirmer ses choix vis-à-vis des autres Nations et garantir la continuité de l’État en cas de crise. La pandémie de COVID 19 en est une illustration magistrale. Une politique souverainiste c’est le choix (et pas l’absence de choix) de favoriser la production nationale, de créer des champions nationaux, d’articuler et de réglementer ses rapports au marché mondial dans la recherche constante d’une position privilégiée. De nombreux leviers de souveraineté existent pour cela.

La Loi bien sûr, la politique économique, les mesures douanières, le jeu des dévaluations, les incitations fiscales et la capacité de former des alliances commerciales et industrielles avec d’autres pays.

C’est préserver sur son sol la production de produits considérés comme stratégiques (médicaments, armement, énergie, transport, communication, technologies numériques par exemple). Une politique souverainiste n’empêche en rien de créer des champions multi nationaux (Airbus en est un très bon exemple), de favoriser et partager la production de produits stratégiques au sein d’une zone économique étendue à plusieurs pays ou d’harmoniser des mesures douanières ou fiscales avec ses voisins.

En revanche une monnaie unique qui interdit le jeu des dévaluations et le principe européen de primauté du droit de l’Union sur les lois nationales sont des limites incontestables à notre souveraineté. À nouveau, ce qui me choque ici ce ne sont pas tant les limitations à notre souveraineté que le fait qu’elles n’ont pas été décidées par la majorité des français par voie de référendum.

Un Etat-nation peut-il encore exister et agir dans le cadre de l’Union Européenne ? Sur ce point je prendrai, si vous le permettez, une position plus muratiste que napoléonienne. L’Empereur dessinait une Europe de pays assujettis à la France alors que Murat proposait une Europe des Nations. « Ainsi c’est Murat qui le premier a dans la tête une Europe des Nations qui eut été plus solide que le grand Empire et eut évité les révolutions de 1830 et 1848 », « Murat meurt, osons le dire, en martyr de l’Europe » (Jean Tulard). 

Revenons au XXIème siècle.

Le Corona Virus, comme la crise des migrants précédemment, ont démontré deux choses : la première, l’incapacité des pays de l’UE à se coordonner et à s’entraider face à un défi commun et la seconde, l’absolue nécessité de mettre en place un système qui permette cette coordination.

Ma conviction est que la construction européenne est nécessaire sans que l’abandon de souveraineté en soit la condition, et certainement pas sans l’accord formel des citoyens. Des transferts de compétence librement consentis et susceptibles d’être annulés suffisent à créer une confédération d’États souverains.

C’est le discours de Philippe Seguin du 5 mai 1992 (cette date du 5 mai qui fait étrangement écho à nos passions napoléoniennes) : « Un peuple souverain n’a de compte à rendre à personne et n’a vis-à-vis des autres que les devoirs et les obligations qu’il choisit librement de s’imposer à lui-même ». Je ne crois pas non plus à un modèle fédéraliste de l’Europe. Je partage en cela l’analyse de Régis Debray : « le modèle républicain n’est compatible ni avec la dilution fédéraliste, ni avec un modèle libéral construit autour du libre jeu des intérêts privés et non sur la prééminence de l’intérêt général ».

C’était le projet initial d’Europe des Nations. La construction d’une Europe organisée dans une union d’États souverains qui font le choix de transférer certaines compétences avec l’accord de leurs citoyens et à la condition que ces transferts se fassent pour une meilleure protection des Peuples. C’est la volonté de construire un espace commun de paix, de prospérité et d’échanges tout en respectant la souveraineté des États membres. C’est un des plus beaux projets de l’Histoire humaine.

Malheureusement la réalité est qu’aujourd’hui c’est un espace strictement technocratique et financier dont la construction a passablement mise à mal la souveraineté de ses membres. C’est le choix de l’homo economicus contre l’homo civicus. Ce n’est pas une Europe politique, c’est une Europe comptable.

Elle est mise sous la tutelle d’institutions anti démocratiques largement sous influence de lobbies privés et de conflits d’intérêts inacceptables qui favorisent la destruction des services publics au nom du principe sacré de la libre concurrence. Maastricht a échoué à construire une Europe qui protège, une Europe sociale. L’UE a accéléré la concurrence fiscale et favorisé les délocalisations tout en mettant en compétition les travailleurs européens dans une course à la précarité via la directive des travailleurs détachés. L’UE a totalement échoué à produire une politique coordonnée de protection des frontières et à venir en aide à l’Italie pendant la crise des migrants.

L’échec de la construction européenne maastrichtienne tient à ce qu’elle s’est faite par le haut, sans les peuples « dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de justice » (Philippe Seguin). C’est une Europe sans souffle, sans idéal partagé par ses populations. C’est une Europe animée par l’esprit de l’oncle Picsou alors qu’il nous faudrait celui de Cyrano de Bergerac.

Dans cette situation, à l’image du Royaume Uni, de nombreux pays pourraient faire le choix de sortir de l’UE. Deux raisons majeures ralentissent l’explosion de l’UE :

Premièrement, toute la zone d’influence allemande et l’Europe du nord sont bénéficiaires nets de l’UE et n’ont aucun intérêt à en sortir, pour le moment en tous cas. Les infrastructures des pays de l’Est et du centre sont largement financées par l’Europe. Leur rôle de base arrière de l’industrie allemande leur garantit une activité économique. Si certains dirigeants de ces pays accablent Bruxelles c’est surtout comme paratonnerre en politique interne.

Deuxièmement, les autres pays qui voient leur compétitivité rognée par la monnaie unique et leurs services publics disparaitre pourraient précipiter un choix de sortie de l’UE mais ils sont coincés avec des dettes en Euros devenues colossales dans la crise actuelle. La zone Euro a empêché une course à la dévaluation qui aurait accélérée un effondrement économique et a permis aux pays d’emprunter à des taux très faibles pour continuer à payer les salaires. Mais en contrepartie, le prix d’une sortie de l’Euro est devenu exorbitant. L’Angleterre, avec sa Livre Sterling, n’était pas à ce point prise dans les dettes en Euro. En effet, ce n’est pas seulement la dette des États qui exploserait s’ils sortent de l’Euro, c’est aussi et surtout les dettes de toutes les entreprises privées et de tous les particuliers qui verraient en plus leur épargne fondre.

Nous pourrions prendre le risque de tout faire sauter et d’abandonner l’Euro et l’UE, c’est le choix du Frexit. Ce serait faire le pari d’une dévaluation telle qu’elle rendrait la France ultra compétitive et favoriserait sa réindustrialisation. Mais ce choix peut entraîner la destruction de notre économie (flambée des dettes publiques et privées, flambée des prix des produits et services importés), l’explosion de révoltes et aboutir finalement à ce que la France soit entièrement dépecée par des intérêts extérieurs. Je ne vois à ce jour aucun responsable politique digne de ce nom prêt à prendre un tel pari.

La situation de l’Euro semble ainsi un obstacle infranchissable pour toute volonté de sortie ou de renégociation des Traités.

Ma conviction est pourtant qu’aussi exceptionnelle que soit la situation actuelle de l’Union Européenne en temps de pandémie, les inflexions qu’elle inflige à notre souveraineté nationale sans l’accord du peuple français exige de tout repenser : le fonctionnement des institutions européennes, la politique migratoire, l’harmonisation sociale, la coordination fiscale, le principe de subsidiarité, etc. Après 60 ans il est temps de faire un bilan critique du bien-fondé des transferts de compétence opérés afin d’évaluer si les politiques ont été mieux mises en oeuvre au niveau européen qu’elles ne l’auraient été au niveau national. Puis, suite à ce bilan, de proposer au référendum le maintien ou le retrait de ces compétences.

Nous ne devons pas rester dans une Europe maastrichtienne que ne soutiennent plus les peuples au seul motif du piège monétaire. Il faut donc désamorcer le risque de destruction économique en cas de sortie de l’Euro, peut être en changeant la nature de cette monnaie. L’abandon de l’Euro n’est pas une condition indispensable pour renégocier les traités. Des pistes telles que passer l’Euro de monnaie unique à monnaie commune ou à monnaie de réserve sont intéressantes.

Le souverainisme dans la crise actuelle semble devenir la solution. Pour quelles raisons selon vous et quel peut être son avenir ? Effectivement avec le COVID le souverainisme a le vent en poupe dans les médias et sur Internet. Pourtant cette crise a été le festival du chacun pour soi, d’une compétition égoïste entre pays pour l’achat de masques et de respirateurs. Le comportement de certains États souverains s’est révélé plutôt décevant.

Donc, si le souverainisme veut être une solution en temps de crise c’est à deux conditions : favoriser une coopération entre États souverains dans l’intérêt des populations et restaurer la souveraineté sur notre propre territoire pour assurer la production locale des éléments vitaux à la vie de la Nation.

Mon sentiment est que ce que les analystes, intellectuels et politiques perçoivent comme un élan de souverainisme est avant tout une attente de respect et de protection, un besoin de fierté nationale qui n’est pas l’expression d’un repli sur soi.

La France de la Vème République est parfaitement armée institutionnellement pour répondre à ces attentes. À trois conditions :

Première condition : Restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble de notre territoire. Avec la plus grande fermeté.

Deuxième condition : Renégocier les traités pour relancer une construction européenne alignée sur la volonté populaire. Passer d’une Europe anti démocratique de « la pénombre des commissions » qui ne fabrique qu’un appareil technocratique et financier alimenté par les lobbies à une Europe de la coopération et de la protection de ses peuples. La barrière de l’Euro est presqu’infranchissable, on nous explique que les traités ne sont pas renégociables, on nous dit que c’est impossible. Rendons la parole à l’Empereur : « cela n’est pas possible m’écrivez-vous : cela n’est pas français », « l’impossible est le refuge des poltrons ».

Troisième condition : renouer avec l’idée de grandeur, de puissance et de fierté nationale. Notre domaine maritime de presque 11 millions de kilomètres carrés (le deuxième après les Etats-Unis) comme l’espace francophone qui regroupe aujourd’hui 75 pays et représentera 700 millions de personnes en 2050 sont des relais de développement et de croissance complètement sous-estimés.

Le peuple français a soif de fierté et de grandeur, la France en a les moyens, il ne manque que l’envergure et le courage politique.

Le bonapartisme peut-il être une force de rassemblement des différents mouvements souverainistes ? En leurs temps des personnalités aussi éloignées que Georges Marchais et Philippe Seguin étaient les figures du souverainisme.

Ce qui est frappant c’est que le souverainisme continue de rassembler des intellectuels aussi divers que Jean-Claude Michéa, Marcel Gauchet, Régis Debray, Michel Onfray, Natacha Polony, Eric Zemmour, Patrick Buisson, etc.
La quasi-totalité du spectre politique français.

Or, je partage absolument l’analyse de Pierre Rosanvalon : « Le Bonapartisme est la quintessence de la culture politique française ».

Donc, bien sûr le Bonapartisme peut et doit être une force de rassemblement des souverainismes de tous horizons. C’est même, me semble-t-il, une de ses vocations.

En ce qui me concerne, je le répète, je suis un souverainiste gaullo-bonapartiste au sens de l’article 3 de notre constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »

Le Gaullisme a été désossé par Maastricht et le Quinquennat. Le Gaullisme c’était le Bonapartisme actualisé au XXème siècle. Il faut maintenant actualiser le Bonapartisme au XXIème siècle, c’est urgent !