Corse : réflexions sur une élection

« La perversion de la cité commence par la fraude des mots ». Cet aphorisme de Platon s’applique aux commentaires de l’élection territoriale de Corse du 3 décembre. L’avancée des Séparatistes a mis en transes nombre de commentateurs, rivalisant de superlatifs avec une prédominance pour le raz de marée ou le tsunami électoral. Les outrances entendues autorisent à se demander si ce « vote historique » n’est pas plutôt un vote hystérique. En effet, les chiffres sortis des urnes, on ne peut plus têtus, remettent à sa juste place cet événement politique local.

Tout d’abord, le parti sorti en tête du scrutin n’est pas celui qu’on pense mais celui de l’abstention (47,83%), devançant de 2,47% la liste séparatiste gagnante. Cette brutale révélation d’une désertion massive des urnes, également constatée ailleurs en moindre proportion, doit sérieusement nous inquiéter pour l’avenir de la démocratie. A quoi attribuer le phénomène dans cette élection ? Il  s’explique en premier lieu par l’incapacité des piètres dirigeants loyalistes à convaincre leurs troupes orphelines de l’enjeu capital du scrutin, contrairement  aux tribuns séparatistes rompus à l’exercice.

En second lieu, nombre d’électeurs ont voulu manifester leur opposition à l’institution de la collectivité unique insulaire, objet de l’élection. Ils n’ont pas accepté le tour de passe-passe cherchant à leur faire adopter en douce un projet qu’ils avaient mis à la porte par le référendum insulaire de 2003 et qui leur revient par la fenêtre de la loi Notre. Cette ruse est comparable au traité de Lisbonne destiné à contourner la réponse négative du référendum national de 2005 sur l’union européenne.

Ensuite, l’indéniable progression des Séparatistes est toutefois bien relative, tous comptes faits. Ils ont obtenu 62.207 voix dans un électorat de 233.988, soit 26,58% des inscrits, c’est-à-dire un insulaire sur quatre. Les chiffres du même scrutin de 2015 furent de 52.839 voix pour 229.844 inscrits. Le gain s’élève donc à 9368 voix dans un accroissement de 4164 nouveaux électeurs. Ces résultats n’autorisent vraiment pas à tomber en pamoison pour les Séparatistes. En tout état de cause, ils restent minoritaires, seulement un peu moins.

Le second tour de l’élection le 10 décembre tournera autour de la pêche à l’électeur dans le grand vivier abstentionniste. Nous ne nous hasarderons pas au jeu des pronostics. L’attention doit se concentrer sur le nouveau score des Séparatistes. S’ils ne franchissent pas la barre fatidique des 50%, ils devront limiter leurs ambitions politiques à l’installation et à la bonne gestion de la nouvelle collectivité unique, redoutable programme en perspective. N’incarnant pas l’ensemble de ce qu’ils appellent le « peuple corse », ils ne bénéficieront toujours pas de la légitimité démocratique pour exiger une quelconque mutation institutionnelle d’envergure qui nécessite l’onction populaire.

Et s’ils deviennent majoritaires, il appartiendra au gouvernement de mettre les Corses devant leurs responsabilités et les consultant sur leur destin politique, avec toutes les conséquences logiques qu’impliquera la réponse. La jurisprudence du référendum régional de 2003 autorise la procédure.

Elargissant le sujet, il ne faut pas se cacher que la question corse est devenue cause nationale majeure par son effet potentiel d’entraînement. C’est dans l’air du temps, d’autres régions à forte identité aspirent à leur émancipation. Elles épient l’évolution institutionnelle de la Corse pour s’engouffrer éventuellement dans la brèche qui pourrait s’ouvrir dans l’unité de la Nation. Il nous parait urgent de couper l’herbe sous le pied de cette tentation par une vigoureuse relance de la décentralisation, fondée sur une pleine application du principe de subsidiarité. L’autogestion administrative des Régions, pourvu qu’elle soit la même pour tous et qu’elle s’arrête aux portes du domaine régalien, est de nature à concilier harmonieusement les aspirations régionales et l’unité nationale, dans le respect du principe de l’égalité républicaine. Mais il n’y a plus guère de temps à perdre pour ce salutaire coup de jeune du pays, que nous baptiserons la « Régionalisation pour tous ».

général (2S) Michel Franceschi