La violation de l’indivisibilité de la République validée par le Conseil constitutionnel : la décision de trop !

« La Constitution est morte, vive la Constitution ! », s’écrie le Secrétaire général du Conseil constitutionnel, au cœur des jardins du Palais royal, devant une nuée de journalistes venus assister au spectacle, en préambule de la lecture de la dernière décision en date du Conseil « des sages », en ce 15 avril 2021. A l’extérieur, rue Montpensier, rien ne semble transparaître de ce qui est en train de se dérouler quelques mètres plus loin. La vie suit son cours, chauffeurs et piétons grondent contre l’insécurité, la saleté et l’impossibilité de circuler paisiblement dans les rues de la capitale. Pourtant, c’est un véritable orage qui vient de s’abattre sur la Ve République, une nouvelle brèche, de plus en plus épaisse, fragilise l’esprit des institutions tel qu’il avait été approuvé par référendum en 1958.

Bien qu’imaginaire, la scène n’en demeure pas moins inspirée de faits réels. En ce 15 avril 2021, à l’abri des articles de presse et des polémiques, le Conseil constitutionnel a rendu une énième décision ayant pour effet de dévoyer la philosophie générale de la Cinquième république. En effet, en déclarant la loi organique relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution conforme au texte constitutionnel, le Conseil constitutionnel creuse un peu plus le trou dans lequel est enterrée progressivement depuis 40 ans l’indivisibilité de la République. Depuis plusieurs siècles, la nation française a tiré sa force de son modèle fondé sur une loi applicable et appliquée uniformément sur tous les territoires. Le développement des infrastructures administratives et des transports, puis des moyens de communication, avaient permis de détruire l’esprit de localité, de supprimer les barrières entre les différentes provinces, et par conséquent de renforcer le principe d’égalité entre les citoyens français,  de telle sorte que la loi s’applique à un Français de Bayonne de la même manière qu’à un Français de Saint-Brieuc. Depuis près d’un demi-siècle, les différentes étapes de la décentralisation contribuent à remettre en cause ce principe.

Or, le principe d’égalité est fondamental, il est celui sans lequel la République n’a plus de sens, il est le principe permettant de tisser et de maintenir les liens entre les membres d’une même nation. En leur ôtant le sentiment d’être soumis aux mêmes règles, ceux qui nous dirigent continuent d’instiller dans l’esprit des Français, consciemment ou inconsciemment, qu’ils n’appartiennent plus à une même nation, que leur résidence au sein d’une localité a la même valeur que leur carte d’identité nationale. A cela vient s’ajouter l’idée d’un peuple européen, d’un dépassement du cadre national, d’une primauté du droit européen. Le Président Macron pense qu’il n’y a pas de « culture française », il n’y aura bientôt plus de « droit français » mais des « droits de France ».

Précisément, la loi organique nouvellement adoptée supprime d’une part l’obligation pour le Gouvernement de vérifier qu’une collectivité territoriale remplit les conditions légales pour bénéficier d’une expérimentation. Toute collectivité territoriale peut elle-même décider de participer à une expérimentation par une délibération, en la publiant au Journal Officiel à titre d’information. Selon le Conseil constitutionnel, cette suppression du contrôle, en amont de la décision de participer à une expérimentation, par le Gouvernement ou le représentant de l’État, n’est pas contraire à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « la loi doit être la même pour tous ». Le motif de cette conformité à la Constitution, selon le Conseil, tiendrait au fait que la délibération doit être publiée ou affichée, et que le représentant de l’État peut toujours, après la délibération ayant décidé l’expérimentation, s’y opposer par un recours auprès du tribunal administratif.

Ces garanties ne sont absolument pas suffisantes pour assurer le maintien du principe d’égalité ! Soyons sérieux, qui peut penser que l’affichage ou la publication d’une délibération peut préserver le respect du principe d’égalité ? Par ailleurs, il est évident que le contrôle par le Préfet, une fois la décision prise, sera beaucoup plus souple, pour des motifs principalement politiques tenant à la volonté de maintenir de bonnes relations avec les collectivités territoriales, dont certaines ont acquis un poids politique quasi équivalent à celui de l’État (les régions comme la Nouvelle Aquitaine ou l’Occitanie par exemple).

La suppression du contrôle par l’État est un véritable danger pour l’indivisibilité de la République, mentionnée à l’article 1er de la Constitution, mais jamais citée par la décision du Conseil. C’est même le premier qualificatif accolé au terme de République, révélant par là-même son importance fondamentale. Avant même d’être laïque, démocratique et sociale, la République est indivisible. Comment s’expliquer que, à propos d’une loi ayant pour effet d’appliquer un droit différent à certaines localités en France, l’institution chargée de veiller au respect de la Constitution ne soumette pas une seule fois les dispositions de la loi à sa conformité au caractère indivisible de la République ? Les arguments juridiques seraient certainement difficiles à trouver ou, du moins, visiblement trop fragiles.

D’autre part, la loi organique facilite le maintien des mesures prises à titre expérimental et permet de les étendre à d’autres collectivités territoriales, « dans le respect du principe d’égalité ». Cette ultime mention suffit au Conseil constitutionnel pour déclarer cette modification de la loi conforme à la Constitution. Il juge même, en dépit du bon sens juridique, que c’est parce que la loi prévoit d’étendre la pérennisation de l’expérimentation à d’autres collectivités présentant les mêmes caractéristiques, qu’elle est conforme au principe d’égalité. Devant une justification aussi ubuesque, nous pourrions répondre que le principe d’égalité ne se divise pas. Il ne peut pas être « respecté » dès lors que le droit est appliqué différemment dans une collectivité territoriale, et il n’est pas « préservé » si le droit est appliqué différemment dans plusieurs collectivités. C’est même tout le contraire !

Une fois de plus, le Conseil constitutionnel a échoué dans sa mission de « chien de garde » de la Cinquième République, comme le voulaient le Général de Gaulle et Michel Debré, pères de la Constitution. Le Conseil constitutionnel affaiblit d’année en année les fondements de la République approuvée en 1958. Il est à la tête de ce que nous pouvons qualifier de « gouvernement des juges », estimant que son rôle serait de corriger par son expertise les erreurs du peuple et de ses représentants. Le Conseil constitutionnel est devenu une troisième chambre du Parlement. Il ne juge plus seulement sur un plan strictement juridique mais par des réserves d’interprétation, par des choix arbitraires sur les dispositions constitutionnelles qu’il convient de protéger ou non, par idéologie.

Or, le Conseil constitutionnel est nommé par le Président de la République (3 membres dont le Président), le Président de l’Assemblée nationale (3 membres) et celui du Sénat (3 membres), pour neuf ans. Ces neuf membres, non élus, ayant le mandat le plus long de toutes les institutions, se sont ainsi octroyé une voix équivalente à celle des députés et des sénateurs, démocratiquement élus. Leur voie est même prépondérante puisque le Conseil constitutionnel intervient après le vote des deux chambres, et peut approuver ou rejeter le texte. Il s’est même permis à de nombreuses reprises de réécrire le texte de la loi, en indiquant comment il fallait l’interpréter, influençant de cette manière les futurs décrets d’application. Cette anomalie doit prendre fin. Il est temps de réformer l’institution la moins démocratique et pourtant l’une des plus puissantes de notre République.

Il apparaît donc urgent de réformer le Conseil constitutionnel. Trois scenarii sont envisageables. Le premier consisterait à restreindre son champ de contrôle, à lui interdire d’apporter des précisions sur l’interprétation correcte à retenir, à lui imposer la primauté des principes essentiels de la Cinquième République sur les autres articles de la Constitution. Le deuxième scenario serait de permettre à l’Assemblée nationale de se prononcer une dernière fois après le Conseil constitutionnel, qui émettrait seulement des avis, à l’instar du Conseil d’État, et non plus des décisions.

Le troisième serait d’intégrer la fonction assurée par le Conseil constitutionnel au sein d’une nouvelle deuxième chambre, composée de représentants des territoires (anciens sénateurs), d’experts économiques, sociaux et environnementaux (actuel Conseil économique, social et environnemental) et d’experts juridiques, nommés par les présidents du Conseil d’État et de la Cour de cassation par exemple. Cette deuxième chambre aurait sensiblement les mêmes attributions que le Sénat actuel, à la différence qu’elle aurait pour fonction complémentaire de soumettre à la vigilance des parlementaires le respect du texte constitutionnel par la loi en cours d’adoption. L’Assemblée nationale, en tant que représentante directe du peuple français, conserverait le dernier mot sur la version de la loi qui sera adoptée.

Il est temps d’en finir avec le droit souverain, et de rétablir le droit du souverain, et pour le souverain. En France, le seul souverain, c’est le peuple.

Adrien AZARETE
Membre du Bureau National Bonapartiste

Source image : Conseil Constitutionnel