Leur dernier combat face au COVID-19

Chaque jour son lot de décès face à cette pandémie qui nous est arrivée de terres lointaines et qui, aujourd’hui, s’étend sur toute la surface du globe. Et parmi ceux-ci, nous déplorons presque chaque semaine maintenant, la disparition de certaines figures de la Résistance avec un grand -R majuscule.

Celles et ceux qui ont combattu l’ennemi Nazi durant la seconde guerre mondiale, sur notre sol ou hors de nos frontières nationales.

Ils ont tous, à leur manière, participé à défendre la Nation, à défendre les valeurs qui sont les nôtres ; en prenant les armes pour les uns, en aidant une population traquée pour les autres.

Ils s’appelaient Auguste Héry, Frida Wattenberg, Rafael Gómez Nieto ou encore Léa Figuères, Henri Ecochard et George Shenkle.

Ils partageaient le point commun d’être à la fois des personnes vulnérables face au COVID-19 lié notamment à leur âge, mais aussi et surtout, ils ont partagé les moments les plus sombres de notre histoire contemporaine en étant les témoins directs des terribles événements de la seconde guerre mondiale.

Dans ce numéro de Brumaire, et comme j’ai pu l’exposé dans son éditorial, j’ai à cœur cette semaine de leur rendre hommage. Ils ont certes été vaincu ces derniers jours dans ce combat final qu’ils ont mené, mains ils ont surtout résisté, combattu, et vaincu leurs plus féroces bourreaux il y a plus de 70 ans maintenant.

Au-delà de leur nom, c’est toute une histoire qui s’offre à nous et qui nous rappelle que face à l’adversité rien n’est plus fort que cette fraternité qui nous embrasse, en ayant un objectif commun : le bien de tout un peuple, uni à travers une nation qui s’est façonnée à travers les siècles et au travers des conflits.

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Frida Wattenberg est née à Paris le 7 avril 1924, de parents juifs polonais s’étant installés en France.

Durant la guerre, elle a rejoint l’Organisation de Secours aux Enfants (L’OSE), pour laquelle elle a fabriqué de faux papiers.

Sa mère fut arrêtée lors de rafle du Vel d’Hiv. De son côté, Frida a été internée au camp de Drancy, dont elle parvient à obtenir sa libération prouvant alors qu’elle travaillait dans un atelier fournissant des vêtements à l’Armée allemande.

Elle rejoint Grenoble en 1943, zone géographique située sous le joug de l’occupation italienne. Elle entre alors dans la résistance juive, conduisant des groupes d’enfants à Annecy pour leur passage en Suisse. Mutée à Toulouse, Frida Wattenberg rejoint alors l’organisation de résistance de l’Armée juive, et a participé aux combats pour la libération.

Une fois la guerre terminée, Frida s’est mise à travailler pour l’Œuvre de Protection des enfants juifs (OPEJ), ayant pour objectif la prise en charge des enfants dont les parents sont morts en déportation. Notons également qu’elle a milité avec ferveur pour la création de l’État d’Israël et s’est impliquée dans l’aide aux Juifs de l’Exodus.

Plus tard, elle est devenue bénévole au Mémorial de la Shoah, où elle y a travaillé pendant plus de 20 ans, et a témoigné pendant des années pour les élèves.

Frida Wattenberg fut alors décorée du titre de Chevalier de l’Ordre du Mérite et Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Elle bénéficiait d’une carte de Volontaire de la Résistance et d’une carte d’Ancienne combattante. Elle était également membre de l’association des anciens de la résistance juive (ARJF) et de « Mémoire juive de Paris ».

Récemment infectée par le Coronavirus, elle s’est éteinte après avoir mené son ultime bataille toujours avec ce courage qui ne l’a jamais quitté.

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Léa Figuères, était bien connue à Malakoff. Outre le fait d’être l’épouse de l’ancien maire de la commune, Léo Figuères, on se souvenait d’elle par sa résistance acharnée face à l’occupation de son pays, la France, par l’Allemagne Nazie.

Léa Figuères était également nommée Andrée, en référence au prénom clandestin qu’elle avait hérité à ses 19 ans, lorsqu’elle rejoint les rangs de la Résistance dans la région de Lyon.

C’est d’ailleurs à cette époque qu’elle rencontre son futur mari, alors responsable clandestin des Jeunesses communistes du secteur. Elle fut son agent de liaison.

Elle a été décorée de la Croix du combattant volontaire de la Résistance.

Même après la guerre, Léa Figuères est restée fidèle à ses idéaux de jeunesse. Elle a toujours lutté pour l’émancipation humaine, tout en poursuivant son travail dédié à la mémoire auprès des plus jeunes. Selon le communiqué publié sur le site de la ville de la Malakoff, « Elle laisse le souvenir d’une femme attentive et bienveillante, pleinement engagée au service des autres, passionnée de littérature et de peinture, militante dévouée et discrète. »

Car depuis plusieurs mois, Léa Figuères était très affaiblie. Alors qu’elle ne quittait que très rarement l’appartement dans lequel elle a vécu pendant près de 50 ans, elle a été admise à l’hôpital Béclère le 30 mars dernier à la suite d’une chute. C’est en ces murs que les médecins décèleront également son infection au COVID-19.

Andrée déposera peut-être pour la première fois les armes face à cet ennemi invisible, mais elle n’aura jamais cessé de combattre. Elle rejoint son tendre époux de toujours, tout en laissant dernière elle le souvenir d’une battante.

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Auguste Héry est âgé de 19 ans en août 1943. Il vit avec sa mère, Louise. Ensemble, dans la ferme familiale de Champvoisy, dans la Marne, ils y cachent une famille juive de quatre personnes qui sera malheureusement raflée, l’année suivante en février 1944.

Pour avoir, au péril de leur vie, cachés une famille juive pendant la Seconde Guerre mondiale, Louise et Auguste Héry reçoivent la plus haute distinction civile de l’état hébreu : devenir « Juste parmi les Nations ». Une distinction attribuée par Israël à ceux qui sont venus en aide aux Juifs, pendant l’occupation nazie.

Après la guerre, Auguste Héry a été ouvrier agricole dans la ferme familiale, puis il est entré dans la gendarmerie.

Il a été nommé chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la Médaille militaire, chevalier de l’ordre national du Mérite, croix de guerre 39-45, titulaire de la croix du combattant volontaire de la Résistance et de la croix du combattant.

Le Coronavirus aura donc emporté cet homme qui a su, au péril de sa vie, mettre en avant – aux cotés de sa mère – courage et dévotion à l’égard d’autrui dans le danger.

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Henri Ecochard, héros des Forces Françaises libres n’avait que 17 ans lorsqu’il embarque sur un thonier polonais à La Rochelle pour rejoindre à Londres le Général De Gaulle, ayant au passage tout abandonné dernière lui. Il y sera alors formé au maniement des armes.

En juin 1943, il apprend à piloter des avions d’observation, pour le réglage des tirs d’artillerie. En 1944-45, il participe au Débarquement de la Première Division Française libre en Provence puis à la Campagne de France qui le mène jusqu’en Allemagne.

Après la guerre, cet ancien résistant a poursuivi une carrière au sein d’une grande compagnie pétrolière avant d’arriver paisiblement à la retraite où il entreprend alors de dresser une liste de tous les anciens de la France Libre (60 000 noms), devenue une référence pour les historiens sous le nom de « liste Ecochard ».

Henri Ecochard a aussi témoigné avec passion auprès de lycéens et collégiens. « Il avait toujours cette flamme au fond de lui pour se souvenir, pour expliquer aux jeunes qu’il fallait se battre, suivre les bons chefs, avoir des valeurs dans la vie », souligne son fils.

Son dernier acte de résistance l’aura été face au COVID-19, qui aura malheureusement eu raison de lui. C’est une partie de notre histoire nationale qui s’éteint, mais le bénéfice de son lègue nous revient à tous.

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Rafael Gomez Nieto était le dernier soldat de la compagnie « Nueve » de la 2e DB, composée en majorité de républicains espagnols qui furent les premiers à libérer Paris.

Entrés le 24 août 1944 vers 20 heures dans Paris par la porte d’Italie sur les ordres du général Leclerc, ils gagnèrent une heure et demie plus tard l’Hôtel de Ville.

« C’était le symbole de la Nueve, avec lui part un pan de l’histoire de la libération de Paris et des Républicains espagnols », a déploré l’historienne Evelyn Mesquida, qui entretenait des contacts réguliers avec lui.

Ne se contentant pas de libérer la capitale, quelques mois plus tard, le 23 novembre 1944 avec sa compagnie, ils libérèrent Strasbourg. La 2e DB accomplissait ainsi le serment de Koufra : « Ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. »

Rafael Gomez Nieto est décédé du Coronavirus dans une clinique près de son domicile de Lingolsheim, commune limitrophe de Strasbourg, ville qui lui sera éternellement reconnaissante.

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Le vétéran américain George Shenkle, membre du 508ème régiment d’infanterie parachutiste de la 82ème Airborne, avait été parachuté – à l’âge de 21 ans –  en juin 1944 au-dessus du Cotentin. Il s’est retrouvé engagé dans le conflit à proximité de la colline 30, au sud-ouest de Carentan. Parachuté non loin de sa «drop zone», il a dû patienter avec 200 autres soldats jusqu’à l’arrivée d’officiers avant d’engager le combat. Il était chargé de la radio et de la communication.

Sur sa poitrine, deux ailettes en argent rappellent ses deux sauts de combat ; le premier le 6 juin 1944 en Normandie, le second lors de l’opération Market Garden en Hollande, avant de se retrouver en pleine Bataille des Ardennes où il a été blessé à l’épaule. Une expérience qu’il aimait partager avec les élèves lors de ses retours en Normandie.

La Normandie. Ces terres d’un pays étranger qu’il a foulées pour la première fois au milieu des tirs de mitrailles et d’explosions d’obus. Il aimait pourtant y revenir pour commémorer les combats intenses ayant donné le tournant tant attendu de la Seconde Guerre mondiale.

George Shenkle a rendu son dernier combat qui aura eu raison de lui.

Quand il parlait de ce conflit mondial, il aimait dire : « J’ai eu de la chance. On ne sait jamais quand on va mourir, on espère simplement survivre ! Mon travail n’était pas de tuer mais de communiquer, je n’aime pas les armes. Je n’aime pas tuer, ni même chasser ! »

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Au travers de ces histoires, j’avais à cœur de mettre sur le devant de la scène ceux qui peuvent se regrouper sous la bannière du courage. Ils ont tous, à leur façon, combattu l’assaillant Nazi, au péril de leur vie. Ils ont traversé ce conflit mondial, continué à vivre après avoir été les témoins directs des atrocités de la guerre.

Leur jeunesse a été fauchée par la guerre, leurs derniers jours par la maladie. Atteint de ce virus qui attaque les voies respiratoires, en s’en prenant aux plus fragiles.

Pour ajouter de la peine à ces maux, aucune grande cérémonie ne sera organisée, dans la mesure où le pays vit toujours sous le confinement. Ça ne sera alors que partie remise…

Chaque décès du COVID-19 est une tragédie, car au-delà de la personne qui s’éteint, c’est toute une vie, un pan de notre histoire voire une génération entière qui disparait avec eux.

Pour cela, ne les oublions pas.

Christopher DESTAILLEURS-HENRY