Feuille de route pour le Levant

La France et le Levant, notamment le Liban, ont une longue histoire commune qu’on pourrait faire remonter de la première croisade à aujourd’hui en passant l’intervention de Napoléon III en 1860 et et au mandat français de 1920 à 1943. Cette relation toute particulière entre la France et le Liban nous amène à proposer une approche claire et réfléchie dans les relations qui doivent être les nôtres. La France se doit d’être le “pays frère” du Liban, voir même sa “douce mère” comme beaucoup aiment à le rappeler.

Comment comprendre la situation au nord du Levant (Syrie-Liban)

En Syrie nous assistons au combat entre deux démons :

– un dictateur sanguinaire qui n’a pas hésité à tirer à la mitrailleuse sur des enfants pour défendre son pouvoir d’une part.

– une nébuleuse islamiste hétéroclite unie par une vision moyennageuse et punitive de l’Islam de l’autre qui s’est signalée par des attentats sur notre sol, des pratiques de massacre systématiques, de destruction de toute trace de civilisation antérieure (Palmyre, etc.) d’esclavage et d’épuration ethnique de l’autre.

La France a soutenu les seconds avant de lutter mollement contre eux, sans jamais aider les autorités officielles, continuant au contraire de les contraindre par des actions diplomatiques et même de discrets coups de patte militaire et dans le champ du renseignement, se faisant la complice objective des assassins du Bataclan.

Au Liban : Une position Bonapartiste moderne ne peut plus se contenter de rester fidèle aux promesses de Napoléon III mais étendre notre amitié et notre respect à l’ensemble de ceux qui se sentent libanais. Nous devons en effet être les amis de tous les libanais, plus seulement ceux des maronites. Même si notre rôle est de nous assurer du maintien de la présence chrétienne. Car elle est dans l’intérêt de tous les libanais. Cette présence chrétienne est la garantie de la position du Liban comme pont entre l’Orient et l’Occident. Comme laboratoire où se mélangent les influences de deux mondes et s’invente au quotidien la coexistence de ces deux civilisations si différentes. C’est la raison d’être de ce pays.

Aujourd’hui, le Liban a beaucoup évolué. Si Druzes et chrétiens sont à la base de la nation libanaise, les musulmans ont souvent dans le passé vécu dans leur chair un conflit entre leurs racines locales et leur sentiment d’appartenance à des ensembles plus grands sur base linguistique (panarabisme) ou confessionnelle (l’Oumma). Aujourd’hui, même les chiites se sentent libanais autant que chiite. Les sunnites sont libanais autant qu’arabes. C’est déjà énorme. Et tout doit être fait pour aider à parfaire cette construction identitaire nationale qui n’est pas achevée. Le jour ou chacun se sentira plus libanais que “sa religion” le Liban sera sauvé. C’est dans ce contexte nous devons comprendre la position du Général Aoun et la soutenir. Ce n’est pas simple. Pourquoi un général chrétien, héros de la guerre contre la Syrie est il aujourd’hui allié au Hezbollah? Parce qu’il fait le pari de les intégrer à la nation libanaise. C’est une vue à moyen et long terme, même si elle semble contre intuitive à court terme.

Malheureusement il doit s’appuyer sur un personnel politique pétri de mauvaises habitudes claniques, clientélistes et népotistes. C’est là que la France peut l’aider.

Dès lors que faire ?

Pour la Syrie : neutralité, non intervention. Fin du blocus.

Pour le Liban : proposer une “agence franco-libanaise de reconstruction” avec de hauts fonctionnaires français et libanais chargés d’assister le Président à travers une administration “de mission” avec des objectifs précis :

– reconstruction du port

– remise à plat de tout ce qui contribue aux recettes fiscales de ce port, principale ressource du gouvernement libanais.

– réfection des réseaux d’eaux et d’énergie.

– réorganisation de la collecte et du traitement des déchets (cf la « crise des ordures » à l’origine de la révolution d’octobre 2019)

Et bien entendu un rapport annuel public. Cela a un coût, mais c’est mieux que d’envoyer des euros dans le tonneau des Danaides. L’agence pourrait aussi centraliser les dons et les investir dans ses missions.

A coté et indépendamment de cette agence, la France peut et doit honorer ses engagements auprès de l’armée libanaise. Une commande de matériels de protection et de vision de nuit est bloquée depuis de nombreuses années sous la pression américaine. Il faut trouver une solution avec des personnels détachés afin de former les militaires libanais à les utiliser, et en même temps, veiller à ce que ces matériels ne fuitent pas vers de tierces parties (prétexte officiel des réticences américaines).

Philippe Bondurand-Maouad