A l’origine du souverainisme

Depuis plus de vingt ans, le terme « souverainisme » s’est ancré dans le vocabulaire politique français. Il est souvent galvaudé, mal compris voire assimilé à un nationalisme qui n’ose pas dire son nom. Mais il est réel. Il recouvre différentes notions et peine encore à trouver sa voie, ou plutôt un chef de file incontesté. Par le passé, Philippe Séguin ou Jean-Pierre Chevènement par exemple ont pu incarner ce courant original. Mais qui depuis ? Or, sans dirigeant incontesté, rassembleur, charismatique, un courant peine à s’imposer. Ceci est encore plus vrai pour le souverainisme.

On peut néanmoins se demander si le souverainisme est bien né à la fin du XXe siècle ou s’il n’est pas en réalité la résurgence d’une ancienne mouvance française bien ancrée, celle que René Rémond qualifiait de droite bonapartiste. Le souci est justement que le bonapartisme, tout comme le gaullisme qui peut en être un héritier, n’a pas vocation à se placer à droite. Ou, dans tous les cas, pas seulement à droite. C’est également le drame du souverainisme qui par nature devrait se situer au-delà du traditionnel clivage droite / gauche, mais qui par l’attrait du vide ou tout simplement par l’orientation de certains de ses dirigeants, est capté par la droite, abandonnant dangereusement son côté social et populaire.

L’économiste Jacques Sapir avait décrit trois aspects, ou trois axes, trois visions, du souverainisme, l’économique et social, l’identitaire et enfin le politique. L’écueil est que les mouvements et personnalités se réclamant du souverainisme ont le plus souvent développé chacun une seule orientation (le contrôle monétaire, celui des frontières, de la culture ou des institutions par exemple) sans se préoccuper outre mesure des autres.

Pourtant, et il faut en prendre conscience, il ne s’agit pas ici de trois sensibilités différentes, mais bel et bien d’une vision unique et globale de la Politique. Celle-ci ne peut pas se contenter de positions relatives à la place de la France en Europe ou dans le monde, ni même de propositions en matière de monnaie unique. Le souverainisme s’appuie sur une base incontournable, celle de la défense de l’Etat nation, ce qui doit impliquer tout le reste, la sécurisation économique, monétaire et sociale tout autant que la préservation du particularisme culturel ou la promotion de la francophonie. D’essence démocratique, il est une réaction populaire contre la gouvernance européenne qui a oublié les peuples. Il en tire les conclusions en défendant un Etat fort, ambitieux et indépendant tout en s’appuyant sur l’appel au peuple, cet exercice de démocratie directe que certains prennent pour du populisme. Il a l’audace d’allier patriotisme et progrès social. Il exalte l’histoire, ce riche passé français qui, au fil des générations, a construit la nation. L’identité qu’il prône, il ne la fonde pas sur des considérations de religion, de race, d’ethnie ou d’origine. Au contraire, la France, tout au long de sa longue histoire, a su intégrer les nouveaux arrivants. Le souverainisme, c’est un élan, une énergie, un sursaut.

Plus qu’un banal courant idéologique, le souverainisme doit être considéré comme un état d’esprit. Il est le réflexe de défense d’un peuple qui a le sentiment de subir un déclin, d’une population qui voit l’abandon dont elle est la victime et qui entend générer un sursaut salvateur. C’est presque mot pour mot ce que déclaraient les deux députés français au parlement européen en 1999 William Abitbol et Paul-Marie Coûteaux, « le souverainisme n’est que la formulation contemporaine de la révolte d’un peuple qui ne s’appartient plus, s’en rend compte peu à peu, et ne l’accepte pas. (…) Il relie toutes les traditions politiques françaises, de droite comme de gauche, d’abord parce que même si on l’on croit encore que « droite » et « gauche » gardent une certaine signification en matière économique et sociale, il n’en va pas de même pour ce qui est de l’essentiel, l’idée d’un bien commun encore capable de rassembler tous les Français dans une œuvre collective. » [1]

Si le terme est relativement nouveau, la mouvance elle, est ancienne. Elle émane de la Révolution de 1789. En quelque sorte, elle est l’héritière du bonapartisme populaire qui, né à gauche après 1814, avait dérivé à droite avant de s’affirmer clairement comme étant le point de convergence de la nation, sublimant le stérile affrontement partisan. Déclinant par manque d’énergie de ses prétendants successifs et sa perte d’originalité, il s’était réincarné en gaullisme à partir de 1940. Il est la manifestation visible de la résistance contre les oligarchies et les pesanteurs. Ne regardant pas d’où proviennent ses soutiens, il ne leur demande que ce qu’ils sont prêts à faire pour l’avenir.

Ce qu’il lui manque, c’est une ligne de conduite claire et rassembleuse. C’est surtout un Chef, légitime, charismatique, capable de rassembler derrière sa personne l’ensemble des forces souverainistes de ce pays. Il peut être majoritaire dans le corps électoral à condition de cesser ses querelles internes et, sous un drapeau unique, incarner l’énergie populaire, seule capable de « Tournebouler le système » comme disait Jean-Pierre Chevènement en 2002.

Récemment, le Prince Joachim Murat avait fixé quatre piliers majeurs pour soutenir cette politique souverainiste : la restauration de la souveraineté nationale et l’adhésion populaire par l’exercice du référendum, le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du territoire, l’affermissement de la puissance économique et enfin l’union des Français en les rassemblant autour de l’idée de grandeur et de fierté nationale.

Le souverainisme est bien cet ensemble, cohérent et complet qu’il faut construire et défendre sans cesse, y compris contre ceux qui s’en réclament mais qui en abandonnent des parties essentielles. Il a besoin d’envergure, d’énergie, de courage. Il est le rejet de la renonciation et l’expression politique de l’audace. Si on peut résumer, le souverainisme français, ce serait la volonté de constituer un Etat national à exécutif fort, centralisé et d’essence républicaine, donc sociale, puisant sa légitimité dans l’adhésion de la Nation par la consultation régulière des citoyens via la pratique référendaire. L’idée n’est pas neuve. Elle a désormais besoin d’une réactualisation et d’un ancrage profond dans la vie politique.

Thierry Choffat, Maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lorraine


[1] Le Monde du 3 octobre 1999.