Le “Printemps Perse” ?

 

 

Christian Malard, spécialiste des États Unis et du Moyen Orient (ancien éditorialiste de politique étrangère sur France Télévision, consultant pour I24News, pour les chaines américaines CNN et CNBC, pour la Revue Internationale du Monde Arabe et pour le Centre d’Etudes du Moyen Orient), a répondu aux questions de David Saforcada pour le Bonapartiste. Nous vous livrons ici, en exclusivité, cet entretien sur la situation iranienne de ces derniers jours.

 

M Malard, que pensez des manifestations qui touchent actuellement l’Iran ?

Il y a 40 ans, j’ai suivi la révolution iranienne, j’ai interviewé en France (à Neauphle-le-Château) l’ayatollah Khomeiny à 5 reprises en 1979, j’étais le 2 février 1979 dans l’airbus d’Air France qui le ramenait à Téhéran, j’ai passé 3 ans en Iran (par périodes de 3 mois). J’ai connu toute cette révolution et je me disais, ces derniers jours, que nous sommes face à ce que j’appelle les symptômes sociétaux qui pourraient être le prélude à une nouvelle révolution en Iran. C’est une possibilité même s’il faut rester très prudent. Je note que cette fois-ci, les manifestations partent de province alors qu’en 1979 elles étaient parties de Téhéran, du Bazar qui est le poumon économique de la capitale.

Aujourd’hui il y a un mécontentement populaire des Iraniens suite à l’accord sur le nucléaire avec la communauté internationale qui devait permettre une relance économique mais en fait le président Rohani  ne propose  que des augmentations de tout, de l’essence, des produits de première nécessité (les œufs + de 50% par exemple). A cela s’ajoute un ras le bol de la chape de plomb religieuse qui emprisonne le pays. Fait nouveau aussi, on peut entendre les manifestants demander au régime d’arrêter d’aider Bachar El  Assad, d’aider le Hezbollah, le Hamas, et de ce concentrer sur les problèmes intérieurs.

Je pense que nous aurons la période de vérité dans la semaine du 1er janvier. Si les manifestations se poursuivent dans tout le pays  alors peut-être pourrons-nous parler du début de la fin mais cela reste prématuré.

En 1979 il avait fallu 14 mois pour renverser le Shah … Il faut voir ce qui va se passer dans la capitale car pour l’instant l’essentiel des évènements se passent dans le reste du pays et notamment à Mashhad  (ville sainte très connue) qui est la 2ème ville du pays. Aujourd’hui le contexte est différent de ce qui a pu se passer en 2009 où les manifestations avaient éclaté contre la fraude électorale qui avait permis l’élection de Mahmoud Ahmadinejad.

 

D’un mouvement social, on passe à un mouvement politique. Spontanéité ou téléguidage de l’extérieur ?

Il y a un peu tout, 40 ans de régime d’ayatollarchie c’est long. Je ne suis pas sûr que le mouvement soit organisé, qu’il y ait un leader, il y a donc de la spontanéité mais c’est certain qu’il y a des pays qui peuvent souffler sur les braises.

Des pays ont intérêt à renverser l’Iran qui est l’ennemi N°1 au Moyen-Orient, suppôt du terrorisme qui soutient le Hezbollah, le Hamas, qui se refuse à reconnaître le droit à exister d’Israël. Il y a certainement les Etats-Unis qui y ont intérêt, l’Arabie-Saoudite face aux velléités expansionnistes iraniennes et même l’ensemble des pays occidentaux qui n’osent pas l’avouer mais souhaitent abattre ce régime.  Poutine, dont on dit qu’il est l’allié stratégique de l’Iran, allié de circonstance serait plus exact, se méfie énormément des iraniens.

Tout le monde s’aperçoit aujourd’hui, même Emmanuel Macron qui voulait jouer les médiateurs entre l’Iran et l’Arabie-Saoudite, entre l’Iran et les Etats-Unis, qu’on ne peut pas faire confiance à ce régime. Je dis régime, je mets le peuple à part. C’est le régime qui pause problème et non le peuple perse. Il le pausera d’autant plus qu’il développe  son programme nucléaire avec l’aide de la Corée du Nord.

 

Vous évoquiez en 1979 la chute du Shah, d’après certaines informations des manifestants réclament le retour du roi. Que pensez-vous d’un retour de la royauté ?

Il y aen effet des gens qui réclament le retour du roi mais cela ne veut pas dire que les monarchistes soient suffisamment structurés à l’intérieur du pays.

Maintenant, Reza Pahlavi, le prince héritier fils de feu Mohammad Reza Pahlavi,  a beaucoup de contacts à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran. Il travaille beaucoup. Il a toujours dit “si je devais prendre le pouvoir en Iran,  je souhaite une monarchie constitutionnelle sur le modèle espagnol, avec un référendum, sous contrôle des Nations-Unies, qui permettrait au peuple de choisir son modèle politique pour l’avenir“.

Il est prématuré de penser qu’il y aura un retour de Reza Pahlavi en Iran mais tout reste possible.

 

Ces derniers temps on a vu que le régime octroyait quelques libertés, notamment sur le port du foulard pour les femmes. Est-ce que justement, les femmes peuvent être le moteur de la révolution ?

Il y a une grande jeunesse dans ce pays, plus de 50% des Iraniens ont moins de 30 ans. Cette jeunesse sait ce qui se passe en dehors de l’Iran et en à mare de cette chape de plomb religieuse avec les Gardiens de la Révolution et de toute la pesanteur qui les étouffe. Les jeunes en ont mare d’être opprimer par ce régime.

Si durant le mois de janvier ces manifestations sont réprimées dans le sang (il y a eu déjà 15 tués le 2 janvier), on peut envisager le “pire”. Dans un contexte presque semblable, il y a 40 ans, le Shah n’avait pu reprendre le contrôle de la situation. S’il y a de nombreuses victimes, il faudra alors se demander si ce n’est pas le début de la fin du régime. Mais encore une fois, soyons prudents.

 

2018, le Printemps Perse ?

Peut-être mais avec quelques réserves …